En tant que musicologue, et surtout en tant que musicien, ma lecture du livre « Le violon d’Abraham » passe avant tout par une vision personnelle, celle donnée par mon « filtre musical ». Mais pas seulement. Il y a aussi ma curiosité naturelle qui me pousse à découvrir et imaginer les circonstances historiques et sociales de la création de musiques ayant vu le jour à une époque très éloignée de nous dans le temps, mais proche de notre perception actuelle de la musique européenne du XVIIe siècle. Nous avons la chance de pouvoir l’apprécier interprétée par d’excellents musiciens « baroqueux », des spécialistes dans la restitution de ces musiques que l’on entendait dans la France des « trois Louis », tout au long de la période baroque. Il s’agit donc dans ce livre d’interroger des musiques qui, encore aujourd’hui, présentent de nombreuses zones d’ombre, surtout parce que, tout en étant européennes, elles sont aussi juives, ou plutôt hébraïques, car chantées et composées sur des textes en hébreu. L’auteure tente ainsi d’imaginer des réponses possibles à ces quêtes.

Le livre nous relate, nous raconte, les péripéties qui ont entouré la composition d’une sorte de cantate hébraïque destinée à fêter la circoncision à venir d’un nouveau-né dans le ghetto de la ville provençale de Carpentras dans la seconde moitié du XVIIe siècle, ville faisant partie du Comtat Venaissin, où vivaient plusieurs communautés juives que l’on nommait « Les Juifs du Pape » [d’Avignon]. La partition dont on parle ici existe bel et bien : elle est intitulée Canticum hebraicum. Elle a été révélée au public au milieu des années 1960 grâce aux recherches du musicologue israélien Israël Adler et rapportée dans son ouvrage « La pratique musicale dans quelques communautés juives en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles », Paris-La Haye 1966. L’édition de la partition, publiée en Israël l’année précédente par « Israeli Music Publications » est signée Ludovico Saladin, et laisse ainsi deviner un compositeur italien qui aurait travaillé en Provence.
La première page de la partition se présente – globalement – ainsi :
Canticum hebraicum notis musicis illustratum a Ludovico Saladin
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